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Gallery of Lost Art

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Gallery of Lost Art

 

Tate museum est à l’initiative d’une proposition intitulée Gallery of Lost Art, mise en ligne le 2 juillet dernier. Le musée s’est associé, pour ce faire, avec la chaine Channel 4, a reçu un soutien de The Arts and Humanities Research Council (AHRC) et a confié la conception numérique au Studio ISO.

“Art history tends to be the history of what has survived. But loss has shaped our sense of art’s history in ways that we are often not aware of.  Museums normally tell stories through the objects they have in their collections. But this exhibition focuses on significant works that cannot be seen.” Jennifer Mundy, commissaire de l’exposition, définit ainsi son propos.

Musée fantomatique, fait d’ombres et de traces, selon Jane Burton, directrice de Tate media, celui-ci ne peut prendre forme, prendre sens, que de façon « virtuelle ».

Au-delà de ces énoncés, recevables a priori, cette « exposition » d’œuvres perdues retient principalement l’attention, pour deux ordres de raisons : l’intérêt du propos et sa (re)présentation numérique.

L’intérêt du propos, d’abord : la découverte de ces œuvres de l’art moderne et contemporain manquantes, à travers les traces qui permettent d’attester leur existence, leur confère un intérêt singulier, nourri par l’examen de documents. Œuvres d’une grande diversité, elles s’avèrent toutes passionnantes, autant pour leur qualité intrinsèque que pour les traces livrées pour les circonvenir.

Cérémonie de présentation du portrait par Churchill, à Westminster, en 1954.

Les raisons de ces pertes sont multiples : vol, disparition, destruction involontaire ou volontaire comme dans le cas les œuvres éphémères, rejet ou censure, œuvres restées, conceptuellement ou non, à l’état de projet, etc. Ainsi se côtoient des pièces ou des gestes aussi divers que, pêle-mêle : le portrait de Winston Churchill, exécuté en 1954, par Graham Sutherland (1903-1980)…,– Churchill l’a détesté ; Self-Seer, 1910, de Egon Schiele (1890-1918)– son collectionneur fut pillé et déporté par les Nazis ; Bent Propeller, 1970, sculpture d’Alexandre Calder (1898-1976) – installée devant le World Trade Center ; In Search of the Miraculous (1973-75), de Bas Jan Ader (1942-1945) – projet jamais réalisé ; les cinq œuvres volées en 2010 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, (présentation à venir)…

Cette exposition est éphémère, ce qui reste l’attribut même de l’exposition mais qui prend ici valeur de mise en abîme, au regard du sujet. Sa durée est d’une année. Une information chiffrée s’affiche en bas de page et indique le compte à rebours, à la minute près, apanage de l’horloge électronique… Chaque semaine une œuvre supplémentaire est ajoutée. Une liste dévoile les œuvres à venir, pas de suspense donc, plutôt une invitation à consulter le site, régulièrement. Après que la quarantaine d’œuvres sera disponible sur le site, une plateforme sera ouverte afin de favoriser commentaires et débats sur le sujet des œuvres perdues.

Ce parti pris temporaire se justifie également par l’option documentaire même.  En l’occurrence, celle-ci n’a qu’une valeur d’exposition car les ensembles d’archives rassemblés ne visent en rien l’exhaustivité. La sélection opérée participe d’une démonstration, d’abord par la variété des documents : reproduction iconographique,  esquisses, correspondances, film ou vidéo numérisés… Plus fondamentalement, le document prend ici toute sa mesure. Ici réside le caractère pédagogique de la démonstration : l’importance vitale du document, indissociable de l’œuvre, de sa connaissance, qu’elle vienne à manquer ou pas ; la documentation de l’œuvre occupe une place centrale dans l’activité des conservateurs, c’est ce qui se trouve figuré, en quelque sorte. Et l’on verra que le terme de figuration peut être pris ici au sens propre aussi.

Car – et c’est là la seconde raison de l’intérêt que nous portons à Gallery of Lost Art – la présentation numérique qui en est proposée s’avère particulièrement adéquate au propos comme à sa portée.

Présentation et représentation du dispositif

La page d’accueil introduit immédiatement un trouble : trouble de la perception face à des images mouvantes qui se succèdent, pixélisées, estompées, saccadées. Des formes, des images qu’il est impossible de saisir. Une esthétique de l’effacement, de la disparition est signifiée d’entrée de jeu. La création sonore1 qui accompagne la séquence visuelle, correspondance sensorielle, porte une pointe de pathos qui dramatise l’évocation, sur le seuil.

Mais une fois ce seuil franchi, l’accompagnement musical qui ne s’est pas interrompu et se déroule ad libitum, (au choix : on peut couper le son), se mue en paysage sonore de type ambiant music2 et installe la perception de la durée plutôt que la dramatisation. Car l’exposition qui se révèle impose son atmosphère, très différente, une atmosphère de travail, grisée, quelques lampes de bureau ajoutent quelques auréoles à l’éclairage « zénithal ». Le son sertit le silence studieux qui règne dans l’espace découvert.

Vue de l’exposition

Cet espace est le lieu d’une mise en scène qu’on appréhende de surplomb. Des boites de cartons, des documents sont parfois posés au sol, le plus souvent sur des tables. Chaque espace documentaire, table ou portion du sol circonscrite par un tracé, rassemble quelques archives autour de l’œuvre d’un artiste ; plusieurs œuvres sont regroupées autour d’une thématique, une catégorie de perte. Des chaises vides ou des personnes au travail autour des archives, assis, debout, à l’échelle, finissent de conférer une réalité à l’espace fictif exposé.

Cet espace est unifié, unique, bureau open space transformé en espace d’exposition ; un espace plan qui se déploie hors champ, hors cadre de l’écran, que l’on arpente, toujours de surplomb, usant du pointer-déplacer avec la souris pour en mettre au jour les bords. L’espace est également doté d’une profondeur : un zoom (1 degré seulement) permet de se rapprocher de n’importe quel assemblage documentaire. Cette interface de navigation d’une surface d’inscription, à la fois plane et volumique, n’est pas sans rappeler le dispositif de composition proposé par l’outil Prezi, sans doute appelé à remplacer le Powerpoint car il déjoue sa linéarité. Enfin, un troisième degré, un troisième geste pointant chaque document d’un dossier d’œuvre, permet l’affichage de la pièce d’archive choisie. A ce moment, l’affichage retrouve la mise en page-écran usuelle, pour occuper une portion dédiée à l’image et à l’écrit, avec formule de défilement en cas de besoin ou possibilité d’agrandissement, aussi bien pour chaque image fixe que pour chaque film ou vidéo.

Vue rapprochée du dossier de The Trench, 1920-23, d’Otto Dix

Trois degrés de manipulation, donc, dont l’enchaînement progressif propose une perception globale, puis sélective pour aboutir à l’examen des pièces d’archive disponibles. Autrement dit, l’on passe comme par enchâssement, en trois degrés, de l’espace d’étude figuré à notre propre dispositif d’étude, la station d’ordinateur. Ce scénario numérique s’impose par son intelligence et l’intelligence qu’il octroie à l’utilisateur, rompant avec les velléités naïves de perpétuer les mythes de la visite virtuelle. Le dispositif numérique est rendu perceptible, dans son homogénéité.

Cette formule présente ainsi un double avantage. En premier lieu, nous délivrer du fameux « musée virtuel », entendu comme immersion dans l’espace simulé du musée ; on ne se lasse pas de contrer ce mirage à répétition3. Si l’on reste dans ce registre, l’option de représentation et de présentation de l’exposition proposée par Tate se justifierait-elle par le fait qu’il « ne » s’agit « que » de documents et non  d’œuvres ? Sérieusement, dans l’environnement numérique, quelle différence entre œuvre et document ?

En second lieu, la proposition contribue également à desserrer la contrainte des limites de la page-écran, en déjouant du cadre homogène de l’affichage, favorisant par là de nouvelles modalités de position des objets numériques, à plusieurs stades de leur perception et de leur opération.

Pour finir, il faut signaler que sont ménagés des accès aux dossiers par artistes ou par catégories de perte. Et surtout un blog qui s’en tient à présenter les documents et non plus les notices qui les accompagnent et offre, de surcroît, une ouverture sur l’espace documentaire du web. Ainsi, d’autres documents repérés en ligne, sur d’autres sites se rapportant à l’artiste concerné, sont indiqués ; avec modestie, avec des mentions comme “trouvé sur Youtube”…

Ne pas tarder à fréquenter Gallery of Lost Art ; il ne reste plus que 262 jours, 10h et 42 minutes.

 

 


 

 

 

  1. Musique de Benji Merrison.
  2. Genre musical dont Brian Eno, inventeur du terme, reste une des figures majeures.
  3. Je me permets de renvoyer à une intervention rapide et récente sur ce thème, à l’occasion d’une consultation en ligne sur le Google Art Project, Musée virtuel, éternel retour.

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